Chroniques Concerts

Flaming Lips - Paris Bataclan 28 avril 2006

Posté par : Jérôme Florio le 04/05/2006

Plein les mirettes : les Flaming Lips ont pris d’assaut le Bataclan avec une artillerie lourde de cotillons, ballons géants, mégaphones... et comme on assistait malgré tout à un concert de rock, une grosse dose d’énergie et de générosité. Le public, ravi comme une horde de gamins lâchés dans une confiserie, a suivi de bon coeur les facéties d'un Wayne Coyne à l'enthousiasme communicatif.

Avant le concert, une nana déguisée en Wonder Woman se baladait dans la salle et prenait des photos. Superman aussi avait fait le déplacement. On aurait dû se méfier. Dès l'extinction des lumières, la folie (douce ?) s'empare de la salle, une sorte d'apocalypse joyeuse organisée par Wayne Coyne. Dans l'effarement général, sous les fumigènes, débarquent sur les côtés de la scène deux douzaines de jeunes gens déguisés, qui gigoteront pendant tout le concert : à gauche des aliens genre Roswell figurent l’Eglise de Scientologie (hilarité et "boouuuuhhh ! "du public), à droite des Père Noël pour représenter la religion chrétienne (re-bronca). Et tout ça parce que l'album s'appelle "At war with the mystics"... Au beau milieu, les Flaming Lips avec un Coyne portant beau avec ses cheveux poivre et sel et son costard négligé chic. On ne peut pas en dire autant des autres - batteur planqué derrière sa frange, le guitariste Steven Drozd (bon boulot, et beau nom de droïde !) dans une combi gris métallisé proto-Devo, et le bassiste Michael Ivins avec un collant noir de squelette. Le barnum organisé sur scène a des allures de ring sci-fi cheap, de terrain de bataille entre le Bien et le Mal. Wayne Coyne, très efficace en M. Loyal arbitre d'une guerre pour de rire, papillonne entre sa guitare, irradie le public du faisceau de ses projecteurs-phasers, jette des cotillons à pleines mains. Il trouve même le temps de chanter, joue de la guitare, et nous régale avec les pauvres cris d’animaux samplés sur un synthé pour mioche (offert par un fan, paraît-il). Un univers azimuthé, mais néanmoins intime et touchant, quand la voix sonne comme celle d'un enfant perdu dans un espace trop grand pour lui.

Les Lips - à part "She don't use jelly" - n'ont pas joué de titres antérieurs à l'album "The soft bulletin " (1999). Ce dernier avait donné un nouveau souffle à une carrière parfois chaotique, longue de vingt ans déjà. Les extraits de "At war with the mystics" montraient le retour à un son plus rock et direct : "Free radicals" sonnait tendue et serrée comme un jean étroit. "Race for the prize", "Yoshimi", "The yeah yeah yeah song", et "She don’t use jelly" étaient exécutés avec l’aplomb d’hymnes nationaux, provoquant l’enthousiasme du public qui chantait en choeur. "The spark that bled" et "Vein of stars" était deux beaux moments d’accalmie planants, davantage dans la lignée Mercury Rev (Dave Friedmann a produit nombre de leurs albums) – le sens de l'humour en plus, du côté des Super Furry Animals qui produisent un show similaire. Festif certes, mais la logique d'affrontement culminait au rappel dans la reprise de "War pigs" de Black Sabbath, en "hommage" aux faucons de guerre du gouvernement américain (Dick Cheney et Colin Powell sur l'écran géant, qui montrait soit la bobine de Coyne, ou les clips des chansons, ce qui était un peu rigide).

A peine a-t-on souhaité que le cirque se calme pour juste apprécier la musique, tout gérer étant difficile pour Wayne Coyne - qui a beaucoup causé entre les titres - d’où l’utilisation sur "Do you realize ??" d’instruments préenregistrés. Mais l'envie palpable des Américains de prendre du bon temps et leur sens de l'autodérision a tout fait passer haut la main. Pierre Desproges (qui honnissait le rock), a écrit un livre qui s'appelle "Vivons heureux en attendant la mort" : un concert des Flaming Lips peut aussi aider à patienter.

Set list :
Race for the prize/Free radicals/Yoshimi p1 & p2/Vein of stars/The yeah yeah yeah song/In the morning of the magician/The W.A.N.D../Cow jam/The spark that bled/She don't use jelly/Do you realize??//War pigs



Flaming Lips - Paris Bataclan 28 avril 2006

Posté par : Emmanuel Durocher le 03/05/2006

Qu'est-ce qu'un bon concert ? Le concert d'un bon groupe, un concert bien joué avec un bon son, un concert où les musiciens communiquent avec le public…

Ce soir-là au Bataclan, la salle se remplit rapidement pour assister à la première partie : les texans de Midlake acquièrent un certain succès avec leur pop rêveuse et psychédélique, une attitude un peu figée et des projections d'animations ou d'extraits de films (j'ai cru reconnaître "Tess" de Polanski).

Puis c'est l'attente, mais contrairement à ces habituels moments pénibles pendant lesquels il faut patienter, les Flaming Lips sont déjà présents sur scène, Wayne Coyne prépare sa caméra qui projettera en gros plan sa frimousse plus ou moins déformée sur l'écran géant, Steven Drozd place judicieusement les différentes guitares (une à deux manches, une autre constellée de points colorés…), par contre le bassiste Michael Ivins doit être resté en coulisses pour enfiler sa tenue de squelette qu'il gardera tout au long de la soirée.

Un petit tour et puis tout le monde revient et c'est là que tout bascule : se retrouver près de la scène pour une première fois à un live des Flaming Lips peut se révéler très éprouvant émotionnellement ; le groupe commence à jouer l'indépassable morceau d'ouverture de "Soft bulletin" "Race for the prize" accompagné d'une armée d'aliens d'un côté et d'une flopée de pères Noël féminins de l'autre, les cotillons pleuvent et des dizaines de ballons de baudruche géants se déversent dans la fosse et le public s'en donne à cœur joie. Les Américains enchaînent avec la tension de "Free for radicals" et la candeur faussement bubblegum de "Yoshimi battles the pink robots part 1", les trois premiers titres du concert résument brillamment les trois derniers albums et le groupe peut enchaîner les morceaux de cette trilogie comme "Yeah yeah yeah song" repris en chœur avec le public, l'instru "Yoshimi battles the pink robots part 2" ou encore "The spark that bled"... L'ambiance ne faiblit pas, à mi-chemin entre un Disneyland psychédélique et le meeting politique à l'américaine, le chanteur accapare l'audience, parle beaucoup, il apparaît un peu comme un gourou (mais il ne faut pas oublier qu'il est "en guerre contre les mystiques") et se permet des échappées expérimentales avec son porte-voix ou son orgue style Bontempi. Ce concert est difficile à vraiment décrire, il faut le vivre. Wayne Coyne aime son public et celui-ci le lui rend bien, une osmose s'installe et il peut partager sa fantasmagorie dépressive et ses cauchemars féeriques. Des cotillons, il y en aura jusqu'au bout : la reprise "War pigs" de Black Sabbath accompagnée de l'inévitable pamphlet anti-Bush.

Un bon concert, c'est peut-être aussi celui qui surprend et qui rend heureux.